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NÉRINE.

Calmez cette douleur, où vous emporte-t-elle ?
Madame, songez-vous que tous ces vains projets
Par l’éclat de vos cris s’entendent au Palais ?

ARIANE.

Qu’importe que partout mes plaintes soient ouïes !
On connoît, on a vu des Amantes trahies,
À d’autres quelquefois on a manqué de foi,
Mais, Nérine, jamais il n’en fut comme moi.
Par cette tendre ardeur dont j’ai chéri Thésée,
Avais-je mérité de m’en voir méprisée ?
De tout ce que j’ai fait considère le fruit.
Quand je suis pour lui seul, c’est moi seule qu’il fuit.
Pour lui seul je dédaigne une Couronne offerte ;
En séduisant ma Soeur, il conspire ma perte.
De ma foi chaque jour ce sont gages nouveaux,
Je le comble de biens ; il m’accable de maux,
Et par une rigueur jusqu’au bout poursuivie,
Quand j’empêche sa mort, il m’arrache la vie.
Après l’indigne éclat d’un procédé si noir,
Je ne m’étonne plus qu’il craigne de me voir.
La honte qu’il en a lui fait fuir ma rencontre ;
Mais enfin à mes yeux il faudra qu’il se montre.
Nous verrons s’il tiendra contre ce qu’il me doit,
Mes larmes parleront ; c’en est fait, s’il les voit.
Ne les contraignons plus, et par cette foiblesse
De son cœur étonné surprenons la tendresse.
Ayant à mon amour immolé ma raison,
La peur d’en faire trop seroit hors de saison.
Plus d’égard à ma gloire ; approuvée, ou blâmée,
J’aurai tout fait pour moi, si je demeure aimée.
Mais à quel lâche espoir mon trouble me réduit ?
Si j’aime encor Thésée, oubliai-je qu’il fuit ?
Peut-être en ce moment aux pieds de ma Rivale
Il rit des vains projets où mon cœur se ravale.
Tous deux peut-être… Ah Ciel ! Nérine, empêche-moi
D’ouïr ce que j’entends, de voir ce que je vois.