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Le temps au repentir auroit pu le forcer ;
Mais c’en est fait, Nérine, il n’y faut plus penser.
Hélas ! Qui l’auroit cru, quand son injuste flamme
Par l’ennui de le perdre accabloit tant mon âme,
Qu’en ce terrible excès de peine et de douleurs
Je ne connusse encor que mes : moindres malheurs ?
Une Rivale au moins pour soulager ma peine
M’offroit en la perdant de quoi plaire à ma haine.
Je promettois son sang à mes bouillants transports ;
Mais je trouve à briser les liens les plus forts,
Et quand dans une Soeur après ce noir outrage
Je découvre en tremblant la cause de ma rage,
Ma Rivale et mon Traître, aidés de mon erreur,
Triomphe par leur fuite, et brave ma fureur.
Nérine, entres-tu bien, lorsque le Ciel m’accable,
Dans tout ce qu’a mon sort d’affreux, d’épouvantable ?
La Rivale sur qui tombe cette fureur,
C’est à Phèdre, cette Phèdre à qui j’ouvrois mon cœur.
Quand je lui faisois voir ma peine sans égale,
Que j’en marquois l’horreur, c’étoit à ma Rivale.
La Perfide abusant de ma tendre amitié,
Montroit de ma disgrâce une fausse pitié,
Et jouissant des maux que j’aimois à lui peindre,
Elle en étoit la cause, et feignoit de me plaindre.
C’est là mon désespoir ; pour avoir trop parlé,
Je perds ce que déjà je tenois immolé ;
Je l’ai portée à fuir, et par mon imprudence
Moi-même je me suis dérobé ma vengeance.
Dérobé ma vengeance ! À quoi pensai-je ? Ah Dieux !
L’Ingrate ! On la verroit triompher à mes yeux !
C’est trop de patience en de si rudes peines.
Allons, partons, Nérine, et volons vers Athènes.
Mettons un prompt obstacle à ce qu’on lui promet ;
Elle n’est pas encor où son espoir la met.
Sa mort, sa seule mort, mais une mort cruelle…