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Alors il me dira, si se voir lâchement
Arracher ce qu’on aime, est un léger tourment.

PHÈDRE.

Mais sans l’autoriser à vous être infidèle,
Cette Rivale a pu le voir brûler pour elle
Elle a peine à ses vœux peut-être consentir.

ARIANE.

Point de pardon, ma Soeur, il falloit m’avertir.
Son silence fait voir qu’elle a part au parjure.
Enfin il faut du sang pour laver mon injure.
De Thésée, il est vrai, je puis percer le coeur ;
Mais si je m’y résous, vous n’avez plus de Soeur.
Vous aurez beau vouloir que mon bras se retienne,
Tout perfide qu’il est, ma mort suivra la sienne,
Et sur mon propre sang l’ardeur de nous unir
Me le fera venger aussitôt que punir.
Non, non, un sort trop doux suivroit sa perfidie,
Si mes ressentiments se bornoient à sa vie.
Portons, portons plus loin l’ardeur de l’accabler,
Et donnons, s’il se peut, aux Ingrats à trembler.
Vous figurez-vous bien son désespoir extrême,
Quand dégoûtante encor du sang de ce qu’il aime,
Ma main offerte au Roi dans ce fatal instant
Bravera jusqu’au bout la douleur qui l’attend ?
C’est en vain de son cœur qu’il croit m’avoir chassé ;
Je n’y suis pas peut-être encor toute effacée,
Et ce sera de quoi mieux combler son ennui,
Que de vivre à ses yeux pour un autre que lui.

PHÈDRE.

Mais pour aimer le Roi, vous sentez-vous dans l’âme…

ARIANE.

Et le moyen, ma Soeur, qu’un autre Objet m’enflamme ?
Jamais, soit qu’on se trompe, ou réussisse au choix,
Les fortes passions ne touchent qu’une fois.
Ainsi l’hymen du Roi me tiendra lieu de peine ;
Mais je dois à mon cœur cette cruelle gêne.
C’est lui qui m’a fait prendre un trop indigne amour,
Il m’a trahie ; il faut le trahir à mon tour.