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L’oubli, l’indifférence, et vos plus fiers mépris,
De mon manque de foi doivent être le prix.
À monter sur le Trône un grand Roi vous invite,
Vengez-vous en l’aimant d’un Lâche qui vous quitte.
Quoi qu’aujourd’hui pour moi l’inconstance ait de doux,
Vous perdant pour jamais, je perdrai plus que vous.

ARIANE.

Quelle perte, grands Dieux, quand elle est volontaire ?
Périsse tout, s’il faut cesser de t’être chère.
Qu’ai-je à faire du Trône et de la main d’un Roi ?
De l’Univers entier je ne voulois que toi.
Pour toi, pour m’attacher à ta seule personne,
J’ai tout abandonné, repos, gloire, Couronne ;
Et quand ces mêmes biens ici me sont offerts,
Que je puis en jouir, c’est toi seul que je perds.
Pour voir leur impuissance à réparer ta perte,
Je te suis, mène-moi dans quelque Île déserte,
Où renonçant à tout, je me laisse charmer
De l’unique douceur de te voir, de t’aimer.
Là, possédant ton cœur, ma gloire est sans seconde.
Ce cœur me sera plus que l’Empire du monde.
Point de ressentiment de ton crime passé ;
Tu n’as qu’à dire un mot, ce crime est effacé.
C’en est fait, tu le vois, je n’ai plus de colère.

THESEE.

Un si beau feu m’accable, il devroit seul me plaire ;
Mais telle est de l’Amour la tyrannique ardeur…

ARIANE.

Va, tu me répondras des transports de mon cœur.
Si ma flamme sur toi n’avoit qu’un foible empire,
Si tu la dédaignois, il falloit me le dire,
Et ne pas m’engager par un trompeur espoir
À te laisser sur moi prendre tant de pouvoir.
C’est là, surtout, c’est là ce qui souille ta gloire.
Tu t’es plu sans m’aimer à me le faire croire :
Tes indignes serments sur mon crédule esprit…