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Un service pareil veut un autre salaire.
C’est le cœur, le cœur seul, qui peut y satisfaire.
Il a seul pour mes vœux ce qui peut les borner,
C’est lui seul…

THESEE.

Je voudrois vous le pouvoir donner,
Mais ce cœur malgré moi vit sous un autre empire,
Je le sens à regret, je rougis à le dire ;
Et quand je plains vos feux par ma flamme déçus,
Je hais mon injustice, et ne puis rien de plus.

ARIANE.

Tu ne peux rien de plus ! Qu’aurois-tu fait, Parjure,
Si quand tu vins du Monstre éprouver l’aventure,
Abandonnant ta vie à ta seule valeur,
Je me fusse arrêtée à plaindre ton malheur ?
Pour mériter ce cœur qui pouvoit seul me plaire,
Si j’ai peu fait pour toi, que falloit-il plus faire ?
Et que s’est-il offert que je pusse tenter,
Qu’en ta faveur ma flamme ait craint d’exécuter ?
Pour te sauver le jour dont la rigueur me prive,
Ai-je pris à regret le nom de Fugitive ?
La Mer, les vents, l’exil, ont-ils pu m’étonner ?
Te suivre, c’étoit plus que me voir couronner.
Fatigues, peines, maux, j’aimois tout pour leur cause.
Dis-moi que non, ingrat, si ta lâcheté l’ose ;
Et désavouant tout, éblouis-moi si bien,
Que je puisse penser que tu ne me dois rien.

THESEE.

Comment désavouer ce que l’honneur me presse
De voir, d’examiner, de me dire sans cesse ?
Si par mon changement je trompe votre choix,
C’est sans rien oublier de ce que je vous dois.
Ainsi joignez aux noms de Traître et de Parjure
Tout l’éclat que produit la plus sanglante injure ;
Ce que vous me direz n’aura point la rigueur
Des reproches secrets qui déchirent mon cœur.
Mais pourquoi, m’accusant, redoubler ces atteintes
Madame, croyez-moi, je ne vaux pas vos plaintes.