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Il me trahit. Au point que sa foi violée
Doit avoir irrité mon âme désolée,
J’ai honte, en vous contant l’excès de mes malheurs,
Que mon ressentiment s’exhale par mes pleurs.
Son sang devroit payer la douleur qui me presse.
C’est là, ma Sœur, c’est là, sans pitié, sans tendresse,
Comme après un forfait si noir, si peu commun,
On traite les Ingrats, et Thésée en est un.
Mais quoi qu’à ma vengeance un fier dépit suggère,
Mon amour est encor plus fort que ma colère.
Ma main tremble, et malgré son parjure odieux,
Je vois toujours en lui ce que j’aime le mieux.

PHÈDRE.

Un revers si cruel vous rend sans doute à plaindre ;
Et vous voyant souffrir ce qu’on n’a pas dû craindre,
On conçoit aisément jusqu’où le désespoir…

ARIANE.

Ah, qu’on est éloigné de le bien concevoir !
Pour pénétrer l’horreur du tourment de mon âme,
Il faudroit qu’on sentît même ardeur, même flamme,
Qu’avec même tendresse on eût donné sa foi.
Et personne jamais n’a tant aimé que moi.
Se peut-il qu’un Héros d’une vertu sublime
Souille ainsi… Quelquefois le remords suit le crime.
Si le sien lui faisoit sentir ces durs combats…
Ma Soeur, au nom des Dieux, ne m’abandonnez pas.
Je sais que vous m’aimez, et vous le devez faire.
Vous m’avez dès l’enfance été toujours si chère,
Que cette inébranlable et fidèle amitié
Mérite bien de vous au moins quelque pitié.
Allez trouver… Hélas ! dirai-je mon Parjure ?
Peignez-lui bien l’excès du tourment que j’endure.
Prenez, pour l’arracher à son nouveau penchant,
Ce que les plus grands maux offrent de plus touchant.
Dites-lui qu’à son feu j’immolerois ma vie,
S’il pouvoit vivre heureux après m’avoir trahie,