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ACTE V



Scène I


DOM LOUIS, DOM JUAN, SGANARELLE

Dom Louis

Ne m’abusez-vous point, et seroit-il possible,
Que votre cœur, ce cœur si longtemps inflexible,
Si longtemps en aveugle au crime abandonné,
Eût rompu les liens dont il fut enchaîné ?
Qu’un pareil changement me va causer de joie ?
Mais encor une fois faut-il que je le croie,
Et se peut-il qu’enfin le Ciel m’ait accordé
Ce qu’avec tant d’ardeur j’ai toujours demandé ?

Dom Juan

Oui, Monsieur, ce retour dont j’étois si peu digne,
Nous est de ses bontés un témoignage insigne.
Je ne plus ce Fils, dont les lâches désirs
N’eurent pour seul objet que d’infâmes plaisirs.
Le Ciel, dont la clémence est pour moi sans seconde,
M’a fait voir tout à coup les vains abus du monde.
Tout à coup de sa voix l’attrait victorieux
A pénétré mon âme, et dessillé mes yeux,
Et je vois, par l’effet dont sa grâce est suivie,
Avec autant d’horreur les taches de ma vie,
Que j’eus d’emportement pour tout ce que mes sens
Trouvoient à me flatter d’appas éblouissants.
Quand j’ose rappeler l’excès abominable
Des désordres honteux dont je me sens coupable,
Je frémis et m’étonne, en m’y voyant courir,
Comme le Ciel a pu si longtemps me souffrir,
Comme cent et cent fois il n’a pas sur ma tête
Lancé l’affreux carreau qu’aux méchants il apprête.