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Dom Juan

Que de douceurs charmantes
Font goûter aux amants les passions naissantes
Si pour chaque beauté je m’enflamme aisément,
Le vrai plaisir d’aimer est dans le changement.
Il consiste à pouvoir, par d’empressés hommages,
Forcer d’un jeune cœur les scrupuleux ombrages,
À désarmer sa crainte, à voir de jour en jour
Par cent petits progrès avancer notre amour ;
À vaincre doucement la pudeur innocente,
Qu’oppose à nos désirs une âme chancelante,
Et la réduire enfin, à force de parler,
À se laisser conduire où nous voulons aller.
Mais quand on a vaincu, la passion expire.
Ne souhaitant plus rien, on n’a plus rien à dire ;
À l’amour satisfait tout son charme est ôté,
Et nous nous endormons dans sa tranquillité,
Si quelque objet nouveau, par sa conquête à faire,
Ne réveille en nos cœurs l’ambition de plaire.
Enfin j’aime en amour les exploits différents ;
Et j’ai sur ce sujet l’ardeur des conquérants,
Qui sans cesse courant de victoire en victoire,
Ne peuvent se résoudre à voir borner leur gloire.
De mes vastes désirs le vol précipité
Par cent objets vaincus ne peut être arrêté.
Je sens mon cœur plus loin capable de s’étendre,
Et je souhaiterois, comme fit Alexandre,
Qu’il fût un autre monde encor à découvrir,
Où je pusse en amour chercher à con quérir.

Sganarelle

Comme vous débitez ! Ma foi, je vous admire.
Votre langue…

Dom Juan

Qu’as-tu là-dessus à me dire ?

Sganarelle

À vous dire ? Moi ? J’ai… mais que dirois-je ? Rien,
Car quoi que vous disiez, vous le tournez si bien,