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Oui, par son changement c’est elle qui te tue.
Pourquoi ne l’avoir plus, ou pourquoi l’avoir eue ?
Mais après tant d’ennuis, puis qu’elle t’a jeté
Dans l’abîme où pour moi tu t’es précipité,
De mon cœur pour jamais mon désespoir l’arrache,
Il te la sacrifie, et je veux bien qu’on sache
Que jusques au tombeau mes soupirs et mes pleurs
Ne se lasseront point de venger tes malheurs.

AMALASONTE.

Enfin, grâces au Ciel, rien ne manque à ma joie ;
À pleines mains sur moi sa faveur se déploie.
Dans mon cœur agité je ne sais quels combats
De la mort d’un amant corrompoient les appas.
Je tremblois d’une gloire à mon amour fatale ;
Mais quand je puis jouir des pleurs de ma rivale,
Ses ennuis à mes yeux si vivement offerts,
Consolent cet amour de tout ce que je pers.
Qui l’eût crû qu’Ildegonde, elle qui fut si fière ;
Allant pour Théodat jusques à la prière,
Avec tant de bassesse eut mendié sa foi
Pour me voler un cœur qui se donnoit à moi ?
C’est donc ce qui le fit à soi-même infidèle ;
L’ingrat sitôt changé, ne changea que pour elle,
Et leur intelligence à braver mon amour,
De ses feux mal éteints produisit le retour.
Ah si j’avois connu… Mais qu’eut pu ma vengeance,
Qui de mes vœux trahis réparât mieux l’offense ?
De deux amants ensemble ordonner le trépas,
Quelque cruel qu’il soit, c’est ne les punir pas.
Lors que l’un perd le jour sous le fer qui l’en prive,
Pour en sentir l’atteinte, il faut que l’autre vive :
Oui, perfide rivale, après l’indigne éclat
De l’outrageant amour qui m’ôte Théodat,
Si pour voir ma vengeance heureusement remplie,
J’eus besoin de sa mort, j’ai besoin de ta vie.
J’eus besoin qu’à toute heure, examinant sa foi,
Tu songes, s’il est mort, qu’il n’est mort que par toi ;