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Et tâcher, en perçant le secret de mon âme,
De m’épargner l’affront de prévenir sa flamme.
Même en la prévenant, quelle honte pour moi,
Et jusqu’où j’ai trahi l’orgueil que je me dois !
N’as-tu pas remarqué qu’il n’a voulu m’entendre,
Que quand je l’ai contraint à ne s’en plus défendre,
Que s’il eût pu le faire, il auroit crû plus tard ?
Ah, pour les vrais amants il ne faut qu’un regard.
À voir quand il s’échappe attachés sans relâche,
Ils arrachent du cœur ce que ce cœur leur cache,
Et pour y pénétrer, prennent avidement
Les plus foibles clartés du moindre égarement.
Mais enfin, c’en est fait, je ne m’en puis dédire,
J’ai parlé, l’Ingrat sait que pour lui je soupire
Vois par là quels malheurs j’aurai su m’attirer,
Si je vois qu’à ma honte il m’ait fait déclarer.
Je l’aime, et plus l’amour que j’ai trop osé croire
M’a fait en sa faveur relâcher de ma gloire,
Plus de moi contre lui, s’il me la faut venger,
Cette gloire offensée aura lieu d’exiger.
Où l’outrage demande une juste colère,
La rigueur à punir est toujours nécessaire.
J’en ai donné l’exemple, et l’honneur de mon rang,
D’abord que j’ai régné, m’a coûté quelque sang.
Theudis s’en plaint encor, Trasimond en murmure,
Et Théodat sait trop que sensible à l’injure…

GEPILDE.

Mais, Madame, sur quoi soupçonner Théodat
De pouvoir se résoudre à devenir ingrat ?
Autrefois Ildegonde eut sur lui quelque empire ;
Mais depuis que vers vous un plus beau feu l’attire,
N’a-t-il pas hautement, en cessant de la voir,
Désavoué par tout cet injuste pouvoir ?
Il fait plus, Honoric a de l’amour pour elle ;
Et loin qu’en l’apprenant le sien se renouvelle,
Qu’il tâche d’empêcher son Rival d’être heureux,
Il vous porte lui-même à couronner ses voeux,
Pour vous marquer sa foi que pouvoit-il plus faire ?