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Tout l’amour que jamais un cœur tendre et fidèle
Prit pour un bel objet, je l’avois pris pour elle.
J’avois beau de ses yeux sentir trop le pouvoir,
Point de plaisir pour moi, que celui de la voir.
La gloire de ses fers me sembloit sans seconde ;
Et si l’on m’eut offert tous les trônes du monde,
Pour obtenir de moi de ne l’adorer pas,
Tous les trônes du monde auroient manqué d’appas.
Je te dirai bien plus, admire ma foiblesse.
Quand m’attachant à fuir cette fière princesse,
Mon respect pour la Reine étala tant d’ardeur,
Le désir de régner ne toucha point mon cœur.
Je voulois seulement qu’un peu de jalousie
Tint d’un dépit secret Ildegonde saisie,
Et que la peur d’un choix que ma flamme craignoit,
Lui fit voir un peu mieux ce qu’elle dédaignoit.
Quel fruit ai-je tiré de ce triste artifice ?
L’Ingrate a joint pour moi l’outrage à l’injustice,
Et loin de s’offenser que j’aie éteint mes feux,
Honoric parle, s’offre, elle accepte ses voeux.

EUTHAR.

C’est ce qui doit, Seigneur, après son arrogance
Vous obliger pour elle à plus d’indifférence.
Honoric, Trasimond, tout choix vous est égal.

THÉODAT.

Mais, Euthar, c’est toujours me donner un rival.
Au moins si ce mépris qui me fut si sensible
Laissoit à d’autres feux son cœur inaccessible,
Pour m’en cacher l’affront, je pourrois présumer
Que le Ciel l’auroit fait incapable d’aimer.
Mais Honoric…

EUTHAR.

Seigneur, je croirai pour vous plaire,
Que vous conserverez toute votre colère ;
Mais tant de mouvements l’un à l’autre opposés,
Ne marquent pas encor que vos fers soient brisés.
Dans ce trouble d’une âme inquiète, incertaine,
Comment vous assurer de l’amour de la Reine ?