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EUTHAR.

Ildegonde sans doute a trop crû son caprice ;
Et ce tendre respect qui soutenoit vos voeux,
Méritoit auprès d’elle un succès plus heureux.

THÉODAT.

Encor si dans le temps que mon âme charmée
Lui marquoit tant d’amour, Honoric l’eut aimée,
J’aurois de ses refus imputé la rigueur
Au pouvoir que sa flamme auroit eu sur son cœur ;
Et si dans mes malheurs je me fusse plaint d’elle,
C’eut été seulement de la voir trop fidèle :
Mais, Euthar, n’aimer rien, et par haine pour moi
Se faire une vertu de dédaigner ma foi !
C’est, quand je l’examine, un si cruel outrage…

EUTHAR.

L’espérance du trône est un grand avantage.
Régnez, dans ce haut rang il vous sera bien doux
De punir les mépris qu’Ildegonde eut pour vous.

THÉODAT.

Oui, sans me souvenir de l’avoir adorée,
Quand la Reine avec moi se sera déclarée,
J’irai pour la braver, d’un air impérieux,
Étaler aussitôt cette gloire à ses yeux.
Je serai le premier à lui faire connoître
Que qui fut son esclave est devenu son maître ;
Et plus elle me hait, plus mon heureux destin
Mêlera d’amertume à son jaloux chagrin.
Cent reproches sanglants pour confondre l’ingrate…
Quel triomphe !

EUTHAR.

L’image en est douce, et vous flatte ;
Mais quelque fier courroux qu’on pense mettre au jour,
Les reproches souvent sont des restes d’amour.
Qui se plaint, s’adoucit, et voudroit des excuses.

THÉODAT.

Je l’aimerois encor ! Non, Euthar, tu t’abuses.
Je ne le cèle point ; avant que sa fierté
M’eût fait de l’inconstance une nécessité,