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Scène V

Prusias, Annibal, Araxe

Prusias

Et bien, Seigneur, enfin me rendrez-vous justice
Ai-je fait aux Romains un honteux sacrifice,
Et leur Flaminius que j’éloigne de nous,
Vous répond-il assez que mon cœur est à vous ?
Vous restez dans ma Cour, et je vous tiens parole.

Annibal

Je vois qu’il s’est flatté d’une attente frivole,
Et vous vois d’autant plus, Seigneur, qu’en vain par lui
Rome a tout employé pour m’ôter votre appui.
Résister un moment à cette Souveraine,
C’est se mettre au hasard de mériter sa haine ;
Et l’horreur du péril où vous courez pour moi,
Avait de quoi sans doute ébranler votre foi.
Mais quand pour Annibal vous montrez tant de zèle,
Faisant beaucoup pour lui, faites-vous moins pour elle ?
Vainqueur de toutes parts, il ne faut qu’un Romain
Pour vous faire tomber les armes à la main
Un seul mot, plus puissant que foudres ni tempêtes,
Vous arrache aussitôt le fruit de vos conquêtes,
Dans vos plus sûrs progrès vous arrête le bras,
Agrandit vos Voisins, resserre vos États,
Et vous fait renoncer, au gré de ses caprices,
À tout ce que pour vous avoient pu mes services.
Ainsi par un effort digne de sang Royal,
En dépit des Romains vous gardez Annibal,
Et par une foiblesse indigne d’un grand homme,
En dépit d’Annibal vous cédez tout à Rome.