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Ou que vous jugeassiez de cette passion
Par les brûlants transports de votre aversion !
Vous verriez une force égale en l’une et l’autre,
Que mon cœur n’est pas moins enflammé que le vôtre,
Et que les tendres feux qu’il renferme au-dedans,
Pour être un peu plus doux, n’en sont pas moins ardents.
Vous verriez que ce cœur ne vit que pour Élise,
Qu’il immole à ses pieds repos, gloire, franchise.
Et… pardonnez, Seigneur, à ce transport jaloux,
J’ai pensé dire encor, tout ce qu’il sent pour vous.
Non, non, quelques rigueurs dont vous payiez mon zèle,
Ne craignez rien de moi, je vous serai fidèle,
Et périrai plutôt que de rendre suspect
Ce qu’au grand Annibal j’ai juré de respect.
Trop heureux, si mourant pour ne lui pas déplaire,
J’apprends qu’il daigne plaindre un feu qu’il désespère,
Et voir dans ce moment d’un regard de pitié,
Ce que par moi l’amour immole à l’amitié.

Annibal

Ah, Prince, c’en est trop, cachez-moi tant de zèle.
Ma haine à vous ouïr déjà presque chancelle,
Et jamais les Romains pour fléchir mon courroux
N’eurent un Partisan plus à craindre que vous.

Nicomède

Votre haine pour eux ne peut être assez fière.
Je ne l’attaque point, gardez-la toute entière ;
Mais si vous ne cherchez à me priver du jour,
Suspendez-en l’effet en faveur de l’amour.
Flaminius nous quitte, et Prusias peut-être
N’attend que son départ pour se faire connoître,
Pour vous laisser de Rome affranchir son État.

Annibal

Et c’est dans ce dessein qu’il vous livre au Sénat ?
Je veux bien lui parler, et d’un honteux voyage
Par mes soins, s’il se peut, vous épargner l’outrage.
Je puis remettre Attale, et n’engager ma foi
Qu’après que Prusias… Laissez-nous, je le vois.