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Mais puis-je consentir à ce que veut ma flamme,
Sans que Rome aussitôt s’en indigne et m’en blâme ?
Je me brouille avec elle, et les malheurs d’autrui
M’apprennent ce que c’est que perdre son appui,
Je dois le ménager ; c’est par là que sans cesse
À déguiser mon cœur j’applique mon adresse.
Annibal ne pourroit savoir ma passion,
Qu’il ne s’en prévalut pour son aversion.
L’abaissement de Rome étant ce qu’il souhaite,
Il formeroit contre elle une ligue secrète,
Et m’en faisant l’auteur, me mettroit hors d’état
De ne me pas montrer Ennemi du Sénat.
Tu vois que dans la paix jurée avec Attale
Déjà son amitié m’a presque été fatale.
Rome à ce grand accord témoignant s’attacher,
Exprès pour choquer Rome il vouloit l’empêcher.
D’ailleurs, Flaminius ouvertement s’explique.
Qui protège Annibal blesse la République,
Et son éloignement qu’il presse chaque jour,
Suspend mon espérance, et confond mon amour.
J’oppose pour refus ma parole donnée,
Et pour éblouir Rome à le perdre obstinée,
J’affecte des froideurs dont le déguisement
Cache à Flaminius l’intérêt d’un Amant.
Cependant Annibal que surprend ma conduite,
De mes longues froideurs peut redouter la suite,
Et cédant aux soupçons dont je le vois gêné,
Accepter dans Attale un Gendre couronné.
Je crois voir à ses feux déjà que tout succède,
À moins que de ce mal mon Fils soit le remède.
Confident d’Annibal, s’il craint tout de ma foi,
Par de nouveaux serments il peut… mais je le vois.