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ISABELLE.

Je plains de Dom Fernand la fâcheuse disgrace ;
Mais, croi-moi, ses détours vont être superflus,
Puisqu’il est arrêté, Dom Dionis n’est plus.
Son valet qui le suit fait voir le stratagême.

BÉATRIX.

J’en avois crû d’abord la ressemblance extrême ;
Mais ici tout à l’heure, à le voir de plus près,
J’ai fort bien remarqué qu’ils n’ont pas mêmes traits.
Qui s’y veut attacher en voit la différence.

ISABELLE.

Tu seras toujours folle avec ta ressemblance.
Enfin c’est Dom Juan qui t’a gâté l’esprit ;
Il n’est rien de plus vrai que ce qu’il nous a dit ?
Voilà comme tu crois, si-tôt que l’on t’en conte

BÉATRIX.

Bien d’autres là-dessus ont la croyance prompte ;
Et quand je m’examine, au moins, vois-je de quoi
Mériter les soupirs qui s’adressent à moi.
Qu’on en vienne aux transports, qu’on se plaigne, languisse,
Pourquoi ne croire pas que l’on me rend justice ?
La fausse modestie est des foibles d’esprits ;
Après tout, il est bon de connoître son prix ;
Quelques vœux dont chacun à l’envi nous accable,
Qui croit en être digne, en devient plus aimable.
Pour moi, qui sur moi-même ouvre assez bien les yeux,
Je sai ce que je vaux, & j’en croi valoir mieux ;
J’en prens un droit d’empire, un air de confiance,
Qui force les plus fiers, & prend les cœurs d’avance ;
Un peu d’orgueil sied bien pour en venir à bout ;
Et, pour grossir la troupe, on fait armes de tout.
Vous savez qu’en amans je ne hais pas la foule,
La beauté se flétrit, la jeunesse s’écoule ;
Et je tiens qu’en notre âge il faut, sans consulter
Prendre tout, au hazard de ce qu’il doit rester.