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Et quand, pour mes péchés, il en est question,
Je n’en tâte jamais sans indigestion.

BÉATRIX.

Tu n’es donc point mon fait ; ainsi que de tous âges
Parmi mes soupirans j’en ai de tous étages.
Je reçois compliment, soins, complaisance, vœux,
Mais ce meuble d’amour est tout ce que j’en veux ;
Chacun me fait, sans peine, écouter son martyre ;
J’estime les polis, & les sots me font rire.
C’est ainsi que l’amour dans mon cœur se nourrit.

GUZMAN.

Cet amour est bien jeune, ou n’a guere d’esprit.
Je sais bien qu’en effet quand il commence à naître,
Ce n’est que de douceurs qu’il aime à se repaître ;
Cet aliment alors sans peine le soutient ;
Mais je le croi léger, quand l’appétit lui vient.
S’en tenir toujours à, tu m’aimes, & je t’aime,
Si c’est faire enrager, c’est enrager soi-même ;
Et le simple art coquet, si des sottes l’ont eu,
Sans de grands ragoûts, n’est pas grande vertu.

BÉATRIX.

Tu vas un peu trop loin ; encor sommes-nous faites
Pour ouïr des douceurs, écouter des fleurettes ;
C’est à quoi la plus prude aisément se résout ;
Mais il faut que toujours la vertu régle tout.

GUZMAN.

Tu me la bailles belle avec ta pruderie.
Enfin qu’attrape-t-on par la coquetterie,
Et que sert la vertu que tu me veux prêcher,
Si, sous l’habit du vice, on aime à la cacher ?
C’est être sage en vain que ne la point paroître.
Pour moi, je sui pécheur autant qu’il le faut être ;
Et je ne sache rien qui me choque l’esprit,
Comme se vendre au diable, & s’y vendre à crédit.

BÉATRIX.

Je pense, pour t’avoir qu’il lui doit coûter bonne.

GUZMAN.

Ce n’est pas trop gratis, & fol est qui s’y donne.