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Et ce cœur contre moi de vengeance animé,
Me perd-il sans regret si vous m’avez aimé ?

érixène

Quand j’affranchis ce cœur de sa lâche tendresse,
Que ne puis-je avec vous douter de ma foiblesse,
Ou du moins étouffer l’odieux souvenir
D’un amour que ma gloire aimoit à soutenir !
Je ne rougirois point d’avoir été trop prompte
À céder au penchant qui m’en cachoit la honte,
Et de n’avoir pu fuir l’indigne trahison
Que mes sens subornés faisoient à ma raison.
Ce reproche est le seul qui me tienne alarmée,
Si ma flamme s’éteint, elle fut allumée,
Et pour voir tout mon cœur de regret consumé,
C’est assez de songer qu’il ait jamais aimé.

démétrius

Et bien, éteignez-la, cette innocente flamme,
Dont l’ardeur si longtemps sembla charmer votre âme,
De toute sa tendresse étouffez les appas,
Perdez-moi sans regret, mais ne vous perdez pas,
Et reculant l’hymen dont la gloire avancée
Des rigueurs de mon sort fait triompher Persée,
Cessez de lui promettre en un moment si doux,
Ce qui peut-être encor ne sera pas à vous.
Si le cœur pour aimer se fait une habitude
De ce qu’en son estime il sent d’inquiétude,
Quelque suite de temps qu’il faille à la former,
Il en faut beaucoup moins que pour cesser d’aimer,
On a beau sur ce cœur user de tyrannie,
Sa flamme tout d’un coup ne peut être bannie,
Et l’effort violent qu’on fait pour l’amortir
Laisse durer le mal qu’on croit ne plus sentir.
De cette guérison le temps seul est le maître,
Et si vos sens aigris vous le font mal connoître
Croyez-en un amant dont les tristes avis,
Tout ingrat qu’on le croit, peuvent être suivis