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démétrius

Cachez mieux à mon cœur le mal qu’il appréhende.
J’entends peut-être plus qu’on ne veut qu’il entende,
Et vous vois malgré moi dans ce funeste jour
Mendier un prétexte à trahir mon amour.
Si quelque dur éclat marquoit votre colère,
Je croirois que ma feinte auroit pu vous déplaire,
Et qu’une injuste erreur vous auroit fait penser
Que jusques à Didas je voudrois m’abaisser ;
Mais l’air indifférent dont ma perte est conclue
Marque une âme à l’oubli dès longtemps résolue,
Et je vois en secret la vôtre s’applaudir
D’avoir trouvé par où s’y pouvoir enhardir.
Des grandes passions c’est le cours ordinaire,
Que le cœur qui les change en prend une con traire,
Et quand ses vœux trahis exigent ce retour,
S’il ne sent point de haine, il n’eut jamais d’amour.
Ne rejetez donc point sur ma fausse inconstance
Celle où l’ambition pousse votre vengeance.
Quelque crime qu’en moi vous ayez présumé,
Je serois innocent si vous m’aviez aimé.

érixène

Ces grandes passions qu’en suit une contraire,
N’entrent point dans une âme au-dessus du vulgaire,
Qui maîtresse des vœux qu’il lui plaît de former,
De la seule vertu prend les ordres d’aimer.
Du tumulte des sens l’impérieuse amorce
Pour troubler sa raison n’a point assez de force,
Et toujours à ses lois jalouse d’obéir,
Ce qui la fait aimer, ne la fait point haïr.
Tant que vos vœux ont eu ce précieux suffrage,
Je ne cèle point, j’en ai chéri l’hommage ;
L’inconstance sur eux commence de régner
Je ne m’en souviens plus que pour les dédaigner,
Et je me sens une âme et trop haute et trop vaine
Pour croire que l’outrage ait mérité ma haine.