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Et si l’indigne ardeur de ses transports jaloux
Peut s’étendre en mon sang sans aller jusqu’à vous ;
Mais si dans ce péril la plainte m’est permise,
Voyez-le contre moi s’armer avec surprise,
Et l’éclat de sa haine osant tout aujourd’hui,
Souffrez pour l’arrêter que je m’adresse à lui.
Qu’espérez-vous, mon frère, et sur quelles maximes
Courez-vous en aveugle au plus affreux des crimes ?
Dans l’orgueil de compter tant de Rois pour aïeux,
L’avidité du trône entraîne tous vos voeux,
Comme eux il faut régner, et cette noble envie
Pour remplir tout leur sort veut se voir assouvie ;
Mais si ce que je suis tient le vôtre borné
Prenez-vous-en aux Dieux qui m’ont fait votre aîné.
L’usage ici reçu, le jugement d’un père
Pour régner après lui veulent qu’on me préfère,
Et votre bras armé pour répandre mon sang
Vous peut seul donner droit de monter à son rang.
Le Ciel dont l’équité sur nos desseins préside
N’a pu souffrir encor un si noir parricide.
Hier dans ce faux combat que j’osai hasarder
Pour éviter ma perte il m’apprit à céder.
C’est lui qui s’opposant à l’espoir qui vous reste
Me fit fuir un festin qui m’eût été funeste,
Et le crime partout noircissant votre foi,
J’aurois dû cette nuit vous recevoir chez moi ?
Seigneur, sans mes refus nés d’une juste crainte,
Vous pleureriez ma mort où vous oyez ma plainte,
Et ce qu’entre deux fils vous avez à juger,
Ne vous auroit laissé que ma perte à venger.
Détestez maintenant l’ardeur insatiable
Où la soif de régner plonge une âme coupable,
Mais en la détestant daignez vous souvenir
Que vous avez à plaindre aussi bien qu’à punir.
Que celui dont la rage aspire à perdre un frère
Sente à jamais des Dieux l’implacable colère,