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ISABELLE.

C’est un état heureux, & je le sai connoître ;
Mais de quelque douceur qu’il flatte nos esprits,
Le nom de vieille fille est un nom de mépris.

BÉATRIX.

Aussi, ce qui doit bien refroidir notre envie,
Quand on est marié, c’est pour toute sa vie ;
Et pour qui s’en repent, à vous parler sans fard,
L’espoir de se voir veuve est un triste hazard.
Cette faveur du Ciel est toujours trop tardive,
Nos beaux jours sont passés quand ce grand jour arrive ;
Et le plus souvent même, abusant nos souhaits,
Il nous rit, il nous flatte, & n’arrive jamais.
Mais pour vos deux amans, quel dessein est le vôtre ?
Vous sentez-vous égale, & pour l’un & pour l’autre ?

ISABELLE.

Le choix, à dire vrai, n’est pas facile entr’eux,
Je tiens l’un plus galant, l’autre plus amoureux.
D’abord Dom Dionis, en m’expliquant sa flamme,
Éblouit ma raison, charma toute mon ame ;
Mais, si j’en juge bien, je lui vois chaque jour
Plus de galanterie avecque moins d’amour.
De cette passion il n’a que l’habitude,
Il en prends les dehors, soupire par étude ;
Et je croi, quand il tâche à lui donner crédit,
Que son cœur ne sait rien de tout ce qu’il me dit.

BÉATRIX.

Dom Félix pourra donc emporter la balance ?

ISABELLE.

Si son feu brille moins, j’y crois plus de constance ;
Et je tiens qu’à l’hymen un esprit arrêté,
Doit moins chercher l’éclat que la solidité.

BÉATRIX.

Pourquoi permettre donc que son rival vous voie ?

ISABELLE.

Pour juger mieux encor ce qu’il faut que j’en croie ;