N'avancez point l'effet d'un si cruel devoir,
Et souffrez jusque-là que je vous puisse voir,
Qu'à vos yeux de mon feu toute l'ardeur s'exprime
Tandis qu'il peut encor être écouté sans crime,
Que d'un coeur tout à vous ce feu soit le garant, [95]
Que cent fois je le jure, et meure en le jurant.
Si le Ciel me laissait disposer de moi-même,
Il suffirait pour vous que je sais comme on aime,
Mais vous n'ignorez pas ce qu'en ce triste état
Peut une âme asservie aux maximes d'État. [100]
Esclave d'un devoir...
Et c'est ce qui m'accable
Que votre seul devoir me soit inexorable,
Et que malgré l'excès de tout mon désespoir
Je sois encor forcé d'approuver ce devoir.
Si le Ciel pour un autre avait touché votre âme, [105]
Je me consolerais du mépris de ma flamme,
Et de l'espoir jamais n'ayant eu le soutien,
Mes voeux en le perdant croiraient ne perdre rien ?
Mais d'un même penchant le charme nous attire,
J'aime, vous l'agréez, et je puis vous le dire, [110]
Et quand un feu si beau voudrait paraître au jour
Le Destin ose seul en démentir l'Amour.
Dieux ! N'avait-il uni mon triste coeur au vôtre
Qu'afin que je vous visse entre les bras d'un autre,
Et l'espoir de ce bien à mes désirs si cher, [115]
Ne me l'a-t-il souffert que pour me l'arracher ?
Les plaintes servent peu dans un malheur extrême,
Songez plutôt...
Hélas ! Songez que je vous aime,
Et qu'un Amant que presse un revers si fatal,
Confus, désespéré, ne songe qu'à son mal. [120]
Réduit à l'oublier il doit en faire gloire.
{{Personnage|