Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 3, 1748.djvu/181

Cette page n’a pas encore été corrigée

À la vengeance en vain le devoir vous entraîne,
Ce titre malgré vous suspendra votre haine,
Et ce devoir confus va craindre à l’avenir
De faire un parricide à l’en vouloir punir.
C’en seroit un sans doute, et je vois sans me plaindre
Qu’innocent ou coupable, il n’ait plus rien à craindre,
Mais fussent vos transports encor plus éclatants,
Qui n’a plus à punir ne peut haïr longtemps.
Ainsi, Madame, ainsi sa victoire est certaine,
Il saura vous réduire à perdre votre haine,
Et son heureux triomphe augmentant chaque jour,
S’il n’a plus votre haine, aurai-je votre amour ?
Non, non, j’en crois en vain posséder l’avantage,
Vos scrupules voudront en faire son partage,
Et s’ils tiennent jamais votre courroux borné,
Vous lui devrez ce cœur que vous m’avez donné.
Déjà, déjà sans doute, encore qu’on me le cache,
De ce triste devoir la rigueur me l’arrache,
C’en est fait, je le perds, et toutefois, hélas !
J’aurois bien mérité de ne le perdre pas.
Pour m’imposer l’horreur d’une peine semblable
Le crime n’est pas grand de n’être point coupable,
Et peut-être jamais tant de sévérité
N’a puni le refus d’une infidélité.
Mais je me plains à tort d’un si rude supplice,
Puisqu’il vous met au trône, il est plein de justice,
Jouissez des douceurs d’un si glorieux sort,
Le prix en est léger s’il ne faut que ma mort.
Elle est, elle est trop due à ce feu téméraire
Dont l’orgueil à ma Reine eut l’audace de plaire.
Pour effacer l’affront qu’il vous a fait souffrir,
C’est à vous de régner, c’est à moi de mourir.
J’y cours, j’y cours, Madame, et ma rage secrète
Vous va mettre en état de régner satisfaite,
Heureux, s’il m’est permis, pour tromper mes malheurs,
De vous dire en mourant, c’est pour vous que je meurs.