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Mon cœur à l’adorer met son plus doux appas,
Cependant, je la vois, Seigneur, entre vos bras,
Je la perds, et sa perte à ce tourment m’expose
Qu’accablé de l’effet je frémis de la cause ;
On croit me faire grâce à trahir mon amour,
Et quand on m’assassine on me sauve le jour.
Que me servent ces jours qu’on cesse de poursuivre
Si l’on m’ôte le bien sans qui je ne puis vivre ?
Ah, pour ce dur supplice il n’est point de forfait,
C’est m’avoir trop puni que ne l’avoir pas fait,
Par là votre rigueur va jusques à l’extrême,
Elle m’arrache au sort, et me livre à moi-même.
Il faut y consentir, et forcer mon devoir
À vous laisser jouir de tout mon désespoir,
Je l’étale à vos yeux, triomphez de ma peine.

Sinorix.

C’est donc là d’où partoient les refus de la Reine ?
Toujours traître, toujours infidèle à ton Roi
Tu détournois ses vœux quand ils penchoient vers moi.
Je ne m’étonne plus si tes serments sans cesse
Osaient de ton forfait affranchir la Princesse.
Quoi qu’avec toi sa haine eût juré mon trépas
Un intérêt plus fort armoit déjà ton bras,
Tu feignois par amour d’applaudir à sa rage
Tandis qu’une autre ardeur échauffoit ton courage,
Et que l’heureux succès qui suivoit mes désirs
Te pressoit dans mon sang d’étouffer tes soupirs.
Ainsi plus lâche encore qu’on ne pouvoit connoître
Tu trahissois ensemble et la Reine et ton maître,
Puisque le coup fatal qu’elle a su m’épargner,
En me privant du jour, l’empêchoit de régner.