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Sinorix.

Oui, Phaedime, et mon âme étonnée, interdite,
Se veut en vain soustraire à l’horreur qui l’agite.
Plus j’ai lieu de tenir mon bonheur assuré,
Plus par de vifs remords je me sens déchiré.
Une secrète voix que leur rigueur anime
De moment en moment me reproche mon crime,
Et lorsque j’en frémis, pour me confondre mieux,
L’Ombre de Sinatus se présente à mes yeux.
Pâle et défiguré plus qu’on ne peut comprendre,
Il sort de cette tombe où je l’ai fait descendre,
Et marquant du poison les efforts violents,
Il chancelle, et vers moi se conduit à pas lents.
Ses yeux, quoi qu’égarés, fixes sur le coupable,
Me lancent un regard affreux, épouvantable,
Et comme si c’étoit me faire peu souffrir,
Je l’entends s’écrier : "Tyran, il faut mourir,
Il est temps d’expier ta criminelle flamme ;
Tu m’as ravi le jour pour me ravir ma femme,
Et trahissant ma fille, adroit dans ce grand art,
Tu lui voles un trône où tu n’as point de part.
Ta lâche ambition s’étant pu satisfaire,
Tiens sûr pour toi le prix que ton amour espère,
Mais prêt de l’obtenir, tremble, et malgré tes soins
Succombe au coup fatal que tu prévois le moins."
Là j’ai beau repousser cette funeste image,
L’horreur qu’elle me laisse accable mon courage,
Et sans cesse agitant mon esprit incertain
Me montre un bras levé pour me percer le sein.

phaedime.

De ces vaines frayeurs il vaut mieux vous défendre,
Seigneur, qui contre vous oseroit entreprendre ?
Vous-même en le craignant cessez de vous trahir.
La Princesse sans doute a droit de vous haïr ;
Mais enfin, de régner son cœur toujours avide
Ne prend point contre vous le désespoir pour guide,