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Et de mes sentiments triomphant à mon tour,
Je renonce à l’espoir qui soutient mon amour.
Ainsi nous nous ferons égale violence,
Vous haïrez toujours sans désir de vengeance,
Sans chercher qu’à haïr, sans vouloir d’autre bien,
Et j’aimerai toujours sans aspirer à rien.
Mais las ! Dans cet accord, à bien voir ce que j’ose,
Vos maux approchent-ils de ceux que je m’impose ?
Si la vengeance prête, il vous la faut trahir,
Il vous reste du moins la douceur de haïr.
Outre qu’un fort mépris que la haine suggère
A quelque charme en soi qui peut vous satisfaire,
Puisque, quelque ennemi dont on soit outragé,
Qui peut le dédaigner en est assez vengé ;
Mais dans l’effort cruel que j’ose me prescrire,
Sur quelle juste attente adoucir mon martyre,
Et de quoi me flatter dans l’horreur d’un devoir
Qui me laisse l’amour, et m’arrache l’espoir ?
Être privé de l’un, lorsque l’autre demeure,
C’est languir, ou plutôt c’est mourir à toute heure,
Et qui conçoit ce mal dans un cœur amoureux
Avouera que de tous c’est-là le plus affreux.
Jugez si m’y soumettre, ayant su le connoître,
C’est vous offrir assez pour les jours de mon maître,
Et si j’ai mérité qu’on m’accuse en ce jour
D’être traître ou fidèle au gré de mon amour.

camma.

Le rare et sûr moyen d’éblouir ma vengeance !
Les maux que tu te fais ne sont qu’en apparence,
Et cet espoir pour toi si fâcheux à quitter,
Sur quelque heureux revers te peut toujours flatter :
Mais puis-je à Sinatus sans me noircir d’un crime
N’accorder pas le sang qu’il attend pour victime,
Et laisser sa vengeance à décider au sort,
N’est-ce pas devenir complice de sa mort ?

Sostrate.

Toujours sur cette mort vous croyez votre haine.