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Mais dans la passion dont le transport vous guide,
Quand j’en vois les moyens je demeure stupide,
Je me perds, et ne puis convaincre ma raison
Qu’il se doive acquérir par une trahison.
Ouvrez les yeux, Madame, et sans trop vous en croire,
Jetez-les sur les soins que je dois à ma gloire.
Si j’aime Sinorix, il n’est point de bienfaits
Dont il n’ait jusqu’ici prévenu mes souhaits,
Ses bontés chaque jour se font pour moi paroître,
Je puis ce que je veux, c’est mon Roi, c’est mon maître,
Et si j’ose sur lui porter de lâches coups,
Me souiller de son sang, suis-je digne de vous ?

camma.

Oui, tu l’es, puisqu’enfin c’est en servant ma haine
Que tu peux égaler le destin d’une Reine,
Et trouver dans l’éclat d’un illustre projet
À réparer l’affront du titre de sujet.
Crois-tu qu’à t’écouter je me fusse abaissée
Si je n’eusse pu voir cette honte effacée,
Et su, pour m’enhardir à recevoir ta foi,
Que qui perd un tyran est au dessus d’un Roi ?
Renonce à cette gloire, et quitte un avantage
Qui peut-être jamais n’a touché ton courage,
Mais s’il le dédaignoit, pourquoi te déguiser,
Et différer toujours à me désabuser ?

Sostrate.

J’ai promis, il est vrai, c’est ce qui fait ma peine,
Mais j’ai cru que l’amour fléchiroit votre haine,
Et que pour en calmer les transports éclatants
Il falloit seulement avoir recours au temps.

camma.

Dis plutôt qu’alarmé de l’amour de ton maître
Ton feu désespéroit d’oser jamais paroître,
Et que ta passion corrompant ton devoir
Sacrifioit ses jours à ce manque d’espoir.