Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 3, 1748.djvu/112

Cette page n’a pas encore été corrigée

On me flatte, on me craint, chacun m’offre des vœux,
Cependant, tu le sais, je ne suis pas heureux.
Depuis six mois je règne, et règne sans obstacles ;
Mais le sort fait en vain pour moi tant de miracles
Si du plus digne objet trop vivement charmé,
J’aime pour mon supplice, et ne puis être aimé.

phaedime.

C’est vous plaire, Seigneur, à croître votre peine,
Que d’expliquer si mal les refus de la Reine,
Qui peut-être en secret brûlant déjà pour vous
N’ose encor par devoir vous prendre pour époux.
Quelque éclat à ses yeux dont la couronne brille,
Elle est veuve d’un roi qui vous donnoit sa fille,
Et qui par votre hymen lui faisoit éviter
D’avoir avecque vous un trône à disputer.
Du peuple qui vous craint l’entier et prompt suffrage
Vous en a fait sur elle emporter l’avantage,
Et lors que tout l’État respecte en vous son Roi,
Vous la laissez sujette, et lui manquez de foi.
L’affront est grand, Seigneur, et quoi que dans sa haine
Le nom de belle-mère engage peu la Reine,
Du moins l’honneur la force à prendre l’intérêt
De la fille d’un roi qui la fit ce qu’elle est.
Voila ce qui vous nuit, et vous nuira sans cesse,
Si vos ordres enfin n’éloignent la Princesse.
Ôtez-lui cet obstacle, et vous verrez soudain
Que son cœur adouci vous répond de sa main.

Sinorix.

Je vois bien qu’il le faut mais le puis-je, Phaedime,
Sans m’exposer encor à trembler de mon crime,
Et revoir quel excès d’injustice et d’horreur
Déjà de mon amour a suivi la fureur ?
À ses brûlants transports livrant toute mon âme,
J’ai perdu le mari, pour acquérir la femme.
Des beautés de la Reine éperdument épris,
D’un parricide affreux je l’ai faite le prix,