Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/402

Cette page n’a pas encore été corrigée
ÉLECTUS

Ah, Madame, il est vrai, je suis un téméraire
D’oser séduire ainsi votre juste colère,
Et de venir surprendre en vos sens abusés
Quelque pitié des maux que vous m’avez causés.
Aussi j’en trouverois l’audace illégitime
Si ma mort n’alloit pas en expier le crime,
Et si de l’Empereur l’hymen par moi pressé
Ne m’en faisoit pas voir le coup plus avancé.
Au moins ai-je en mourant une douceur extrême,
D’oser croire qu’un jour vous direz en vous-même,
Plaignant de mon amour le malheur éternel,

ÉLECTUS
en m’aimant ne fut point criminel.

Il suivit seulement un ordre inévitable
Qui le força d’aimer ce qu’il connut aimable ;
D’une vertu brillante il vit en moi l’appas,
Il n’étoit pas en lui de ne l’adorer pas.
Sans espoir, sans désir, sa passion fut pure,
Il souffrit sans se plaindre, il languit sans murmure,
D’aucun propre intérêt il ne fut ébranlé,
Et fût mort innocent s’il n’eût point trop parlé.

MARCIA

Quoi que l’amour ait pris de pouvoir sur votre âme,
Le temps vous fera voir…

ÉLECTUS

Il ne peut rien, Madame,
Et ce ne fut jamais dans les maux importants
Qu’on eut droit d’espérer quelque chose du temps.

MARCIA

Au moins en vous fuyant j’empêcherai peut-être
Que du vôtre à me voir l’aigreur ne puisse croître.
Ce remède est pour vous le seul à souhaiter,
Et je m’éloigne exprès afin de le hâter.

ÉLECTUS

Ah, ne me quittez point, et que mon mal s’aigrisse :
Madame, au nom des Dieux… Hélas, quelle injustice !
Rien ne l’arrête, ô Ciel, ô Destins conjurés !