Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/300

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais ce flatteur appas, s’il le peut décevoir,
Pour éblouir mon âme a trop peu de pouvoir.

CLITIE

Comme son ordre seul sur l’espoir d’être Reine
Vous força d’accepter les vœux de Philoxène,
Sans doute il n’est plus rien qu’il voulut épargner
Pour mettre dans son sang la gloire de régner.
Non qu’enfin le succès n’en soit toujours à craindre,
Mais si d’un sort ingrat vous avez à vous plaindre,
Au moins sera-ce un charme à votre espoir trahi
Qu’en effet vous aurez moins aimé qu’obéi.

BÉRÉNICE

Ah, que tu juges mal des sentiments d’une âme,
Quand par l’ordre d’autrui tu fais naître sa flamme,
Et pour mieux l’excuser en rejettes l’espoir
Sur le trompeur appui d’un aveugle devoir !
L’amour dont trop d’orgueil trahiroit l’entreprise,
Sous d’autres sentiments se cache et se déguise,
Et dans nos cœurs séduits s’introduisant par eux
Il nous fait admirer un Prince généreux.
Comme au respect d’abord sa vertu nous invite,
Il en soutient l’éclat par un brillant mérite,
Notre âme en est émue, et goûte un doux poison
Dans l’appas d’une estime où consent la raison.
Son aveu l’autorise, on ne s’en peut défendre,
Et quand charmé des soins qu’il s’abaisse à nous rendre
Un père veut pour lui qu’on se laisse enflammer,
On ne croit qu’obéir ; en effet c’est aimer,
Et d’un si prompt devoir quoi que l’on se figure,
Il est toujours amour quand il est sans murmure.

CLITIE

J’avois cru jusqu’ici dans votre passion
Un peu moins de tendresse, et plus d’ambition.

BÉRÉNICE

Comme un lâche intérêt s’en rend inséparable,
C’est mal juger de moi que m’en croire capable.
Non, le Prince jamais n’eût mérité ma foi
S’il eût dû son estime au trône plus qu’à soi.