Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/276

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et qu’après un serment que la vengeance anime,
Lorsqu’il m’en sait le prix, il s’en fit la victime ?

TIMOCRATE.

Quand par ce seul moyen il vous peut acquérir,
Vous voulez qu’il le sache et qu’il n’ose mourir ?

ERIPHILE.

Hélas ! Dans ce dessein quelle est son injustice !
En étant seul coupable il me rend sa complice,
Et dans mon ennemi confondant mon amant,
Fait un crime pour moi de mon aveuglement.
Ah, prince, se peut-il que vous m’ayez aimée ?

TIMOCRATE.

Mais plutôt votre haine est-elle confirmée
Jusqu’à vouloir encor par un dernier effort,
Doutant de mon amour, que je perde ma mort ?

ERIPHILE.

Comment n’en point douter, quand cet amour s’obstine
Par un projet funeste à chercher sa ruine,
Et qu’enfin Timocrate aux dépens de mon cœur
Pour s’en trop défier s’immole à mon erreur ?

TIMOCRATE.

Ah, que vous savez mal connoître votre haine,
De la croire étouffée en ce cœur qu’elle gêne !
Ces tendres sentiments qu’il vient de mettre au jour
Sont dûs à la pitié bien plutôt qu’à l’amour.
À voir un ennemi plongé dans la disgrâce,
La plus âpre fureur s’allentit et se lasse,
Et lorsque ses transports vont être satisfaits,
Si la cause en est chère, on en plaint les effets.
Mais tous ces mouvements où la pitié nous mène
Éblouissent bien plus qu’ils n’éteignent la haine,
Et sans doute aujourd’hui Timocrate opprimé,
S’il n’étoit malheureux, ne seroit pas aimé.

ERIPHILE.

Que vous êtes cruel de joindre encor l’offense…

CLÉONE.

Madame, j’aperçois la reine qui s’avance.