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Je me perds, je m’égare, et mon devoir confus
Tremble dans ce qu’il ose ou ce qu’il n’ose plus.
Ô devoir, ô vengeance, ô serment téméraire !
N’ai-je engagé le ciel à servir ma colère
Que pour lui voir offrir à mon cœur alarmé
Timocrate haï dans Cléomène aimé ?
Fatal accablement d’une illustre famille !
Puis-je donner la mort à qui je dois ma fille,
Ou si je suis contrainte à ce funeste effort,
Puis-je donner ma fille à qui je dois la mort ?
Ô vœux trop exaucez ! La haine qui m’anime
Dans une seule tête a trop d’une victime,
Je perds ce que pour moi mon courroux a d’appas,
Et pour me trop venger, je ne me venge pas !

TIMOCRATE.

Quoi, madame, est-ce ainsi que votre âme surprise
S’ose plaindre du ciel quand il vous favorise ?
Le sang d’un ennemi qui bornoit ce courroux
Était une victime indigne d’un époux,
Et par une bonté que vous n’osiez attendre,
Pour lui plus immoler il l’a fait votre gendre.
Sacrifiez sans peine à son sang épandu
Celui que dans le sien vous avez confondu,
Et vengez, en ôtant un époux à sa fille,
Le malheur de sa mort sur sa propre famille.

LA REINE.

Oui, quand de mes serments l’inviolable foi
Se pourroit affranchir de ce que je lui dois,
L’on me verroit sur vous d’une seconde offense,
Par mon propre intérêt, poursuivre la vengeance.
Vous avez su forcer ma haine à se trahir,
Vous m’avez fait aimer ce que j’ai crû haïr,
Et mon cœur doit venger cette haine trompée
De ce qu’il sent sur lui de tendresse usurpée ;
Les dieux dont l’intérêt fait agir mes serments
En agréeront l’effet sur de tels sentiments,
Et dans cette vengeance où par eux je m’engage
Mon époux avec lui souffrira ce partage.