Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/257

Cette page n’a pas encore été corrigée

On s’étonnoit, seigneur, au bonheur de nos armes,
De voir nos ennemis n’en prendre point d’alarmes,
Et que dans leur parti le désordre et l’effroi
N’eut point encor suivi la prise de leur roi.
Mais quelle crainte, hélas, troubleroit leur victoire,
Quand Cléomène à faux s’ose en donner la gloire,
Et que son artifice à la fin prévenu
Sous les armes d’un roi suppose un inconnu ?

NICANDRE.

Quoi, celui dont lui-même a vanté la défaite,
Le prisonnier du fort, n’est pas le roi de Crète ?

DORIDE.

Non, Seigneur, mais l’appui d’un fourbe ambitieux
Dont on a convaincu l’imposture à mes yeux.
Sur un confus murmure épandu par la ville
Qui veut qu’au prisonnier on confronte Trasille,
Quoi qu’en secret mon cœur en déplorât le sort,
Par curiosité j’ai voulu suivre au fort,
Où, pressé de douleur et trompé par ses armes,
Trasille à ses genoux alloit porter ses larmes,
Lorsque, levant les yeux, il s’étonne de quoi
On lui montre pour prince un sujet de son roi.
Le prisonnier rougit, et de son artifice
Les signes qu’il lui fait donnant un clair indice,
Quoi, dit alors Trasille, un traître, un imposteur,
S’ose dire vaincu sous le nom du vainqueur,
Et formant contre lui quelque trame secrète,
Ariston dans vos fers s’érige en roi de Crète ?
Pour voir avec succès ce bruit partout semé,
Son fantôme sans doute est assez bien armé,
Mais quel que soit l’auteur d’un si bas stratagème,
J’en verrai rejaillir la honte sur lui-même ;
Et de l’indigne affront d’une fausse prison,
Timocrate dans peu saura tirer raison !
À ces mots, qui pour lui semblent un coup de foudre,
On voit le prisonnier ne savoir que résoudre ;
Il demeure confus, et sa confusion
Servant à le convaincre en cette occasion,