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ERIPHILE.

Je croyois que l’amour qu’un tel revers accable,
Dedans son désespoir n’étoit pas si traitable,
Et qu’il désavouoit comme autant d’attentats
Ces générosités qui lui font des ingrats.

CLÉOMÈNE.

Aussi de mes conseils si l’effet devoit suivre,
Je sais d’un tel malheur par où l’on se délivre ;
Et ma vie immolée à mon cruel devoir
Sauroit bien m’épargner la douleur de le voir.
Oui, du même moment que la fortune ingrate
Eut semblé se résoudre à flatter Timocrate,
Comme victime due à ce fameux accord
Cléomène sans doute eut achevé son sort,
Trop heureux si, mourant pour vous avoir servie
On eut vu dans sa mort la gloire de sa vie,
Et si de cette mort le secret avéré
Pour vous placer au trône eut servi de degré.
Appelez ce dessein foiblesse, ingratitude,
Donnez lui, s’il se peut, encor un nom plus rude :
C’est par là seulement que ce cœur amoureux
A cru justifier l’audace de ses feux.
Renoncer pour l’amour au soin de sa fortune,
N’est que le foible effet d’une vertu commune ;
On a vu mille amants dans ses moindres douceurs
Trouver la pente aisée au mépris des grandeurs,
Et pour l’objet aimé, sans que rien les étonne,
Quitter parents, amis, sceptre, trône, couronne,
Mais il est inouï peut-être avant ce jour
Qu’aucun ait immolé l’amour même à l’amour.
Pour consacrer mon nom au temple de mémoire,
C’est à moi que le ciel en réservoit la gloire ;
Il la devoit sans doute à ma fidélité,
Et j’ose jusques-là flatter ma vanité,
Que d’un effort si grand, si beau, si peu croyable,
S’il vous fit seule digne, il m’a fait seul capable.