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Car quoi que de ta part il me dut peu toucher,
J’ai la foiblesse encor de te le reprocher.
Cette fierté qu’en moi la naissance autorise,
À ta fausse vertu ne s’étoit donc soumise,
Qu’afin de te voir faire un lâche désaveu
D’un triomphe si beau qui t’a coûté si peu ?

CLÉOMÈNE.

Ah, daignez mieux juger du zèle qui m’anime !
D’un bel excès d’amour ne faites pas un crime,
Et dans ce même avis suspect de lâcheté
Voyez jusqu’où pour vous cet amour m’a porté.
Il m’a fait renoncer à tous ces avantages
Qu’un glorieux espoir permet aux grands courages,
Afin de mieux aimer j’ai voulu me haïr,
Et je me suis trahi de peur de vous trahir.

ERIPHILE.

Quoi ! Toi seul applaudir aux vœux de Timocrate,
N’est pas montrer une âme aussi lâche qu’ingrate,
Et quand ta trahison par là se met au jour
J’en dois prendre l’effet pour des marques d’amour ?

CLÉOMÈNE.

Quoi, vous pourriez souffrir avecque moins de peine
Qu’un servile intérêt fit agir Cléomène,
Et qu’alors que le ciel s’offre à vous couronner,
Il vous ravit un bien qu’il ne peut vous donner ?
Non, non, ma passion est assez noble et pure
Pour savoir de mon cœur étouffer le murmure,
Quand cette belle ardeur dont l’appas m’est si doux,
Sans me considérer s’attache toute à vous.
Ainsi lorsque j’ai vu par la paix qu’il souhaite
Timocrate à vos pieds mettre toute la Crète,
Que son hymen offert s’en faisant le soutien
Assuroit votre trône en vous plaçant au sien,
Vous devant un conseil et grand et magnanime,
Ma flamme à balancer auroit crû faire un crime,
Et contre vos soupçons les dieux me sont témoins
Que j’eusse été perfide à le paroître moins.