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CLÉONE.

Quoi, c’eût été donc peu pour cet audacieux
D’avoir jusques sur vous osé lever les yeux ?

ERIPHILE.

Ah, qu’il lui fut aisé d’être assez téméraire
Pour porter ses désirs au dessein de me plaire,
Puisque mon cœur se fit par trop de lâcheté
Le complice secret de sa témérité !
Car enfin je l’avoue, et l’avoue avec honte,
Je rendis son audace et plus forte et plus prompte,
Et le rang que je tiens la pouvant arrêter,
J’en descendis exprès pour l’y faire monter.
Son feu qu’il s’efforçoit de contraindre au silence,
Dans mes confus regards en trouvoit la défense ;
Et cet ordre secret se découvrant par eux,
Mon cœur sembloit courir au devant de ses voeux.
Je voyois à regret que sa flamme timide
Osât encor trembler sur la foi d’un tel guide.
Ainsi ma complaisance animant ses désirs,
J’empêchois son respect d’étouffer ses soupirs,
Et permettant aux miens de flatter son martyre
Je me disois pour lui ce qu’il n’osoit me dire.
Il m’en a bien punie, et ma facilité
Reçoit enfin le prix qu’elle avoit mérité.
Je vis sa trahison d’abord dans sa retraite,
Mais demeurant douteuse elle étoit imparfaite,
Et pour mieux me confondre, et pour mieux me braver,
Par ce dernier outrage il revient l’achever.

CLÉONE.

Un tel mépris sans doute est un rude supplice,
Mais voyez que par là les dieux vous font justice,
Et que dans votre cœur ils veulent étouffer
Un feu dont la raison avoit dû triompher ;
Car Cléomène enfin, quoi qu’on en veuille croire,
Doit toute son estime à l’éclat de sa gloire,
Et quand sa perfidie arme votre courroux,
Que voyez-vous en lui qui soit digne de vous ?