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Par une prompte fuite opposée à ces feux,
J’ai cru me dérober à l’orgueil de mes vœux ;
Mais en vain, dans l’espoir de guérir par l’absence,
Je m’en suis imposé l’affreuse violence :
Cet effort dans mon mal n’a pu me secourir ;
La mort seule le peut, et je reviens mourir.

NICANDRE.

Certes, si vous aimez, l’exemple est assez rare
Qu’en faveur d’un rival un amant se déclare,
Et ce feu, tel qu’il soit, s’est un peu démenti
Lorsque de Timocrate il a pris le parti ;
Car enfin si l’amour pour soi seul s’intéresse,
Conseiller son hymen, est-ce aimer la princesse ?
Vous l’aimez, dites-vous, et la pouviez donner !

CLÉOMÈNE.

Cessez, cessez, seigneur, de vous en étonner.
L’amour qu’au désespoir la raison abandonne,
S’attache à ce qu’il ôte, et non à ce qu’il donne.
C’étoit toujours beaucoup, pour flatter ma douleur,
Que faire à trois rivaux partager mon malheur.
Par ce fatal hymen, dont votre amour s’offense,
Les deux princes et vous, perdiez toute espérance ;
Et de cette douceur mon esprit abusé
Ne voyoit plus un mal qu’il s’étoit déguisé.
La princesse, disois-je en ma triste pensée,
Acceptant Timocrate obéira forcée,
Et suivant de son sort le décret inhumain
Réservera le cœur en lui donnant la main.
Sa contrainte à mes maux me la peindra sensible,
Et puis qu’enfin pour moi sa perte est infaillible,
J’aime mieux qu’à ma flamme elle échappe en ce jour
En victime d’État qu’en victime d’amour.
Voilà sur quoi mon âme au désespoir ouverte
Tâchoit d’envelopper mes rivaux dans sa perte,
Et dans ces sentiments de leur bonheur jaloux,
Jugez, seigneur, jugez ce que je puis pour vous.

NICANDRE.

Mais à suivre l’erreur dont votre âme est charmée,