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Hélas !

DON ALVAR.
.

Enfin, Madame, il n'est plus temps de feindre,
Mon amour est trop pur pour le vouloir contraindre ;
Qui languit sans espoir peut bien se déclarer,
La plus âpre vertu n'en saurait murmurer. [780]
Par quel décret fatal me fûtes-vous connue !
Je vous perdis soudain après vous avoir vue,
Cependant en secret mon coeur porte vos fers,
Et quand je vous retrouve aussitôt je vous perds.
Ô fortune obstinée à traverser ma joie ! [785]
À combien de douleurs mets-tu mon âme en proie  ?

ISABELLE.

N'accusez aujourd'hui la fortune de rien,
Ce n'est qu'aux malheureux que la plainte sied bien.
Je ne cèlerai point que votre amour me touche,
Puisque vous avez pu l'apprendre de ma bouche, [790]
Et que par cet aveu qui rend mes sens confus
Mes derniers sentiments vous sont assez connus.
Cessez donc de pleurer ma perte imaginaire,
Je ne dépends point tant des volontés d'un Père,
Qu'écoutant un devoir à mon repos fatal, [795]
Je me laisse contraindre à l'amour d'un brutal.
Mon coeur, dût-il souffrir une peine infinie,
Saura se dérober à cette tyrannie ;
Mais je découvre trop dans ce triste revers
Pourquoi vous me perdez, et pourquoi je vous perds, [800]
Vous aimez Léonor, Léonor vous engage,
Elle seule aujourd'hui charme votre courage,
Et je ne puis prétendre à m'acquérir un coeur
Qui reconnaît les lois d'un plus noble vainqueur.

DON ALVAR.
.

Par ce jaloux soupçon, allez, allez, Madame, [805]
Au-devant de celui qui règne dans mon âme.

ISABELLE.

D'où vous pourrait venir ce sentiment jaloux,
Quand je romps un Hymen seul à craindre pour vous  ?
{{Personnage|DON