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Pour en guérir sitôt la cause en est trop belle.
Depuis combien de temps adorai-je Isabelle
Sans que jamais refus, ni mépris, ni froideur, [355]
Du feu qui me dévore ait modéré l'ardeur  ?
Cependant, ô disgrâce à qui raison cède
Don Garcie aujourd'hui la marie à Tolède,
Don Bertran son époux l'attend ici ce soir,
Toute prête à partir on me l'a fait savoir, [360]
Et je viens empêcher, ou par force, ou par ruse,
Qu'un autre n'ait un bien qu'à ma flamme on refuse.

MENDOCE.

Sans venir vous montrer de son bonheur jaloux,
Vous eussiez bien mieux fait de demeurer chez vous.
Puisque tout est d'accord, que pouvez-vous prétendre  ? [365]

DON FÉLIX.

L'espoir est si charmant qu'on ne s'en peut défendre.
Malgré de mon destin l'impitoyable loi
J'espère en Isabelle, en Don Bertran, en moi.
Je sais que son bien seul le rend recommandable,
Et qu'il sert à chacun de risée et de fable. [370]
Il est brutal, bizarre, et peut-être à le voir,
Isabelle oubliera ce trop cruel devoir,
Dont l'âpre austérité la force en dépit d'elle
De courir en aveugle où sa rigueur l'appelle.
Je parlerai, Mendoce, et ce peu que je vaux [375]
Se fera mieux connaître auprès tant de défauts,
Il pourra m'acquérir le coeur de mon ingrate,
Et faire réussir l'espoir dont je me flatte.
Que si trop de vertu l'oblige à se trahir
Jusqu'à vouloir me perdre en voulant obéir, [380]
Comme ce Don Bertran n'agit que par caprice,
J'empêcherai par lui que l'Hymen s'accomplisse,
Et le faisant entrer en doute de sa foi,
Je saurai travailler et pour elle et pour moi.
L'artifice en amour fut toujours légitime ; [385]
Feindre d'en être aimé n'est pas faire un grand crime,