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DES CONNAISSANCES DE L’HOMME.

que les lumières sont plus nuisibles qu’utiles à l’homme, tandis que ce ne sont réellement que l’erreur et le faux-savoir qui lui nuisent.

Un homme célèbre, prenant en considération les maux nombreux qui affligent l’humanité, s’est persuadé que le bonheur ne pouvait se rencontrer que dans un état très-borné de l’intelligence, et que le savoir était plus nuisible qu’utile à l’homme. Le sens absolu de cette opinion est, selon moi, une erreur évidente, quoique jusqu’à un certain point l’apparence lui soit favorable.

C’est assurément l’ignorance qui est la première et la principale source de la plupart de nos maux, depuis surtout que nous vivons en société ; c’est aussi l’extrême inégalité d’intelligence, de rectitude de jugement et de connaissances acquises qui s’observe entre les individus d’une population quelconque, qui concourt sans cesse à la production de ces maux. Ce n’est en effet que relativement que certaines vérités peuvent paraître dangereuses ; car elles ne le sont point par elles-mêmes ; elles nuisent seulement à ceux qui sont en situation de se faire un profit de leur ignorance.

Ainsi, quant à l’opinion qui considère les lumières comme plus nuisibles qu’utiles à l’homme, l’apparence de fondement qu’elle semble avoir ne provient que de ce qu’elles ne sont pas assez généralement répandues, et que de ce que l’on confond le faux-savoir avec la connaissance de la vérité, au moins à l’égard des sujets qui sont pour l’homme d’une grande importance.

Il résulte de ces considérations que si ce que nous appelons notre savoir, n’est pas toujours un savoir réel, ou n’est borné qu’à un petit nombre d’individus dans une population nombreuse, il n’y a rien d’étonnant qu’il nous soit si peu utile. Rousseau s’est douté de l’état de nos sciences ; mais il les a condamnées et en quelque sorte proscrites d’une manière trop absolue. Cet auteur, justement célèbre, revient souvent à la nature dans ses ouvrages, et l’on voit qu’il avait le sentiment de l’importance de son étude, ainsi que celui des inconvéniens, des dangers même de se mettre en contradiction avec ses lois. Plus passionné pour la nature qu’aucune des personnes qui me soient connues, les circonstances de sa vie ne lui permirent pas de la suivre dans sa marche, de bien saisir ses lois, de s’en instruire suffisamment. C’est là, sans doute, ce qui a donné lieu à la seule partie faible de son Émile ; mais les résultats où il tendait partout, quoiqu’en indiquant des voies impropres, quel