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LA RIVIÈRE DES EAUX-MORTES

semblables, dans la nuit, aux lugubres débris d’une armée vaincue dont les squelettes des soldats seraient restés debout.

Ce spectacle macabre l’effraye sans doute, car elle s’arrête un moment, cherche un passage pour fuir, et s’élance vers une coupe étroite taillée dans la montagne.

Elle saute tout d’un élan une première barrière de granit rouge, dévale en grondant une marche énorme, projette dans l’air des tourbillons de poussière humide qui s’irise et, en une dernière et fougueuse bousculade, se fraye une voie tortueuse parmi des pierres amoncelées.

Affolées, les eaux impétueuses tournent en rond au pied de la chute, et achèvent de bouillonner leur colère dans un bassin rocheux où flottent des paquets mouvants d’écume jaunâtre que le vent déchiquette, c’est la Chute-à-l’Ours.

Bientôt assagie, la rivière retrouve son calme momentanément perdu, fait un coude brusque pour ralentir ses eaux qui voudraient courir encore, puis file tout droit vers le repos d’une plaine fraîchement parée.