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HISTOIRE D’UN GOUJON

Alors il vint une grosse truite, et tous les goujons, même les plus gros, cessèrent de manger et s’enfuirent.

La truite nageait lentement, sans se presser. Sa queue carrée remuait à peine, son corps était tacheté de points rouges et noirs comme une peau malade ; ses yeux jaunes luisaient, cruels.

Elle s’avança vers un petit poisson argenté de la même taille que moi, qui, pris par la queue, essayait de se sauver et s’agitait affolé. Il frissonnait de crainte, mais la truite le suivait, sournoise, et semblait prendre plaisir à son épouvante.

Quand il fut fatigué de tournoyer, elle avala le malheureux et se mit à tirer sur la corde qui lui sortait par la bouche. Au contraire des gros goujons elle ne s’en alla pas vite en haut.

C’était maintenant à son tour de souffrir et je n’en étais pas fâché. La truite luttait pour aller au fond du lac, la corde l’en empêchait, et, furieuse, elle battait l’eau de toutes ses forces.

Après un temps qui me parut bien long, la truite ne résistait plus, et je la vis remonter vers la machine, malgré ses nageoires étendues et son corps arc-bouté.