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HISTOIRE D’UN GOUJON

Étant une fois au milieu du courant, je fus soudain bousculé sur les pierres ; la tête me faisait mal, j’étais étourdi, meurtri, et de chute en chute je tombai dans un trou profond, dans le lac. C’était noir, l’eau ne faisait plus de bruit, j’avais peur et pas un galet, pas un abri ! Je nageais bien vite pour trouver le fond, lorsque j’aperçus une bouche avec des dents pointues, des yeux féroces, un corps brun, énorme, taché de rouge, qui s’avançait vers moi. Je ne sais comment je fis pour lui échapper, mais de toute la force de mes nageoires je m’élançai vers la lumière, jusqu’au bord, où il y a de l’herbe, du soleil et très peu d’eau, et je me glissai sous une branche en tremblant bien fort.

J’ai appris depuis que ce vilain poisson était une truite, et que les truites, même les petites, ont des dents et poursuivent sans pitié tous les autres poissons pour les manger, comme nous, les goujons, poursuivons les larves et les mouches.

Le danger passé, je sortis de dessous la branche et regardai autour de moi. L’eau était claire, de belles larves avec des ailes se promenaient dans l’air. Une laide bête avec des pattes tout le long du corps, tombée d’une branche voisine, essayait de nager ; elle