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LA FORÊT

Jusqu’aux rives du lac, l’espace est occupé, et sur ses bords même, les grands cèdres se bousculent, se penchent et regardent dans l’eau, semblant chercher encore un coin sec où jeter des semences.

À la pointe d’une petite baie, un rocher montre sa peau brune, plonge et baigne son front que coupe une plaie béante. Autrefois une source y coulait son filet limpide. À repasser toujours, les gouttes inlassables avaient d’abord noirci la pierre, puis, peu à peu, dessiné une ride légère qui de saison en saison s’est creusée. Un hiver, le gel ayant glacé la source mordit si fort dans la fissure, qu’elle s’ouvrit en une blessure profonde. Et les graines qui jadis séchaient sur sa face luisante s’amoncelèrent, patientes, au fond de ce réduit.

Craintives, une première tige, une première feuille, au soleil se sont montrées, et l’arbre a grandi, tissant en sournois la trame de ses radicelles.

Voyez maintenant le gros cèdre au tronc poilu. Comme des bras de bouddha ses racines noueuses se tordent, rampent, se croisent sur le rocher soumis. Et le vieux cèdre, sentinelle d’avant-garde,