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La nature le mit au monde fort et vigoureux, dans une condition prospère, portant sur sa tête ses propres cheveux, les véritables branches de ce végétal doué de raison, jusqu’à ce que la hache de l’intempérance ait fait tomber ses verdoyants rameaux et n’ait plus laissé qu’un tronc desséché. Alors il a recours à l’art, et met une perruque, s’estimant à cause d’un artificiel faisceau de cheveux (tout couverts de poudre) qui n’ont jamais poussé sur sa tête ; mais en ce moment, si notre balai avait la prétention d’entrer en scène, fier de ces dépouilles de bouleau que jamais il ne porta, et tout couvert de poussière, provînt-elle de la chambre de la plus belle dame, nous serions disposés à ridiculiser et à mépriser sa vanité, juges partiaux que nous sommes de nos propres perfections et des défauts des autres hommes.

Mais un balai, direz-vous peut-être, est l’emblème d’un arbre qui se tient sur sa tête ; et je vous prie, qu’est-ce qu’un homme, si ce n’est une créature sens dessus dessous, ses facultés animales perpétuellement montées sur ses facultés raisonnables, sa tête où devraient être ses talons, rampant sur la terre ! Et pourtant, avec toutes ses fautes, il s’érige en réformateur universel et destructeur d’abus, en redresseur de griefs, il va fouillant dans tous les recoins malpropres de la nature, amenant au jour la corruption cachée, et soulève une poussière considérable là où il n’y en avait point auparavant, prenant tout le temps son ample part de ces mêmes