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et polit, et sèche, et lave ce morceau de terre, et ensuite le cuit au feu poétique ; après quoi il sonne comme n’importe quel pot de terre, et est un bon plat à mettre devant des convives ordinaires, comme l’est toute congrégation qui vient aussi souvent au même endroit pour son plaisir.

C’était une bonne vieille coutume qu’avaient nos pères d’invoquer les muses au commencement de leurs poëmes ; je suppose, pour leur demander leur bénédiction : cette coutume, ces mécréants de modernes l’ont en grande partie mise de côté ; mais on ne doit pas les suivre dans cette impiété poétique ; car, bien que ces sortes d’invocations puissent écorcher les oreilles délicates (comme lorsqu’on accorde des instruments avant un concert), elles ne sont pas moins nécessaires. De plus, vous ne devez pas manquer de mettre au front de votre muse un bandeau grec ou latin ; je veux dire que vous devez décorer d’une vieille devise toutes vos compositions ; car, outre que cet artifice avertit le lecteur de l’érudition de l’écrivain, il est d’autre part utile et recommandable. Un brillant passage au frontispice d’un poëme est une bonne marque, comme une étoile au front d’un cheval, et le morceau ne peut qu’y gagner. L’os magna sonaturum, dont Horace, si j’ai bonne mémoire, fait une des qualités d’un bon poète, peut vous apprendre à ne point bâillonner votre muse, ou à ne point vous refuser des mots et des épithètes qui ne vous coûtent rien, contrairement à la pratique de quelques