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militude de sons qu’on appelle rime, » ce qui est une autorité au-dessus de toute critique. C’est pourquoi vous devez toujours vous assurer de la bonté d’un poëme comme de celle d’un pot de terre, et s’il sonne bien sous le doigt, soyez sûr qu’il est sans défaut. Le vers sans la rime est un corps sans âme (car « la vie principale consiste dans la rime, ») ou une cloche sans battant ; ce qui, strictement, n’est pas une cloche, n’étant d’aucun usage ni agrément. Et le même à jamais honoré chevalier, doué d’une oreille si musicale, avait cette vénération pour la sonorité et le carillon du vers, qu’il parle d’un poète comme d’un homme qui a « le titre révéré de rimeur. » Notre célèbre Milton a fait à ces nations-ci un grand tort en particulier, ayant gâté autant de révérés rimeurs, par son exemple, qu’il a fait de véritables poètes.

C’est pourquoi je suis ravi d’apprendre que, dans cette ville, un jeune homme de beaucoup de mérite a conçu l’utile projet (pour lequel on ne saurait trop le louer) d’orner de rimes le Paradis perdu de Milton, ce qui rendra ce poëme, dont c’est le seul défaut, plus héroïque et plus sonore qu’il n’a été jusqu’ici. Je souhaite le succès de son entreprise ; et comme il n’est pas d’œuvre à laquelle un jeune homme puisse mieux s’employer, ou se faire voir sous un jour plus avantageux pour sa réputation, je suis fâché qu’elle ne vous soit point échue en partage.

Dans la même vue, je vous recommanderais le spi-