Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’un homme ressemblât plus à une source, qui s’alimente invisiblement, qu’à une rivière, qui se grossit de divers cours d’eau étrangers.

Ou, s’il est nécessaire, comme c’est le cas pour quelques esprits stériles, d’emprunter les pensées des autres pour pouvoir mettre en jeu les leurs, pareils à des pompes à sec qui ne veulent pas jouer qu’on n’ait jeté de l’eau dedans, dans cette nécessité, je vous recommanderais, comme lecture, en tant que poète et bel esprit, quelques-uns des auteurs modèles de l’antiquité ; parce que, étant semblable aux singes qui cherchent de la vermine dans la tête de leurs maîtres, vous trouverez qu’ainsi que dans le bon vieux fromage, c’est dans les bons vieux auteurs que les vers abondent, et non dans les nouveaux ; et pour cette raison vous devez avoir souvent dans les mains les classiques, surtout ceux qui sont le plus mangés des vers.

Mais avec cette précaution que vous n’en userez pas envers ces anciens comme de jeunes malheureux en usent envers leurs vieux pères, ne se faisant pas conscience de leur vider les poches et de les piller. Votre affaire n’est pas de les voler, mais de les mettre à profit, et de vous approprier leurs idées, ce qui est l’effet d’un grand jugement, et, quoique difficile, cependant fort possible, sans encourir la honteuse imputation de filouterie ; car je crois humblement, que bien que j’allume ma chandelle au feu de mon voisin, cela ne détériore pas sa propriété, et ne fait pas que la mèche, la cire, ou la