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troublerait et décomposerait le plus brillant génie poétique.

La religion suppose le ciel et l’enfer, la parole de Dieu, et les sacrements, et vingt autres circonstances qui, prises au sérieux, sont de merveilleuses entraves au bel esprit et à la gaieté, et telles qu’un vrai poète ne les saurait admettre, sous réserve de sa licence poétique ; mais encore est-il nécessaire pour lui que les autres croient sérieusement à ces choses, afin que son esprit puisse s’exercer à leurs dépens pour ce fait ; car bien qu’un bel esprit n’ait pas besoin d’avoir de la religion, la religion est nécessaire à un bel esprit, comme sert un instrument à la main qui en joue ; et à ce sujet, les modernes allèguent l’exemple de leur grande idole Lucrèce, qui n’eût pas été un poète aussi éminent de moitié qu’il l’était réellement, s’il n’avait eu le pied sur la religion, religio pedibus subjecta, et, grâce à cette élévation, n’avait eu l’avantage sur tous les poètes de son temps et des âges suivants, qui n’étaient pas montés sur le même piédestal.

D’ailleurs, il est encore à observer que Pétrone, un autre de leurs favoris, parlant des qualités d’un bon poète, insiste particulièrement sur le liber spiritus ; expression sur laquelle j’ai été assez ignorant jusqu’ici pour supposer qu’il entendait une bonne invention, ou une grande portée d’esprit, ou une vive imagination ; mais l’opinion et la pratique des modernes m’ont enseigné une meilleure interprétation, et la prenant à la lettre pour un esprit