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DU TONNEAU.

comparer, ce me ſemble, à une mouche, qui, chaſſée d’un pot de confitures, ſe jette avec avidité ſur un excrément, pour y achever ſon diner, avec le même appetit qu’elle l’a commencé.

Avant que de finir, j’ai encor un mot à dire ſur les Auteurs profonds, dans la claſſe deſquels le public judicieux me placera, ſelon toutes les aparences. Il en eſt à mon avis, de ces Ecrivains comme d’un puits. Un homme, qui a les yeux bons, verra le fond du puits qui a le plus de profondeur, pourvu qu’il y ait de l’eau ; mais, s’il n’y a rien que de la bouë, quand le fond n’en ſeroit qu’à une toiſe & demie en terre, il paroitra extrémement profond, parce qu’il eſt extraordinairement obſcur.

J’ai pris depuis peu la réſolution de faire une experience, qui a fort bien réüſſi à pluſieurs Auteurs modernes ; c’eſt d’écrire ſur rien, & de laiſſer toûjours aller la plume ſon grand chemin, quoique le ſujet ſoit abſolument épuiſé. C’eſt comme l’ombre de l’eſprit, qui ſe plait encore à ſe promener ſur le tombeau, où le cadavre eſt enterré. Pour dire la verité, il n’y a point de talent